Le 24 juin dernier, nous apprenions que Maksim Butkevitch avait été capturé par l’armée russe dans la région de Louhansk en Ukraine. Le lendemain se tenait à Franchesse dans l’Allier le rassemblement annuel à la mémoire de Pierre Brizon, ce député socialiste qui a voté contre les crédits de guerre en 1916, et dans mon intervention j’ai alerté pour la défense de Maksim, soldat ukrainien. Internationaliste en 1916 c’était n’être d’aucun camp, internationaliste en 2022 dans la guerre impérialiste de destruction de l’Ukraine comme dans toutes les guerres coloniales, c’est choisir son camp : si la Russie fait la paix il n’y aura plus de guerre, si l’Ukraine fait la paix il n’y aura plus d’Ukraine et il y aura d’autres guerres.

Pendant quelques jours toutefois, les proches de Maksim ne souhaitaient pas que l’on fasse connaître son sort, sans doute par espoir de quelque échange de prisonniers. Mais lorsqu’ils ont vu une vidéo de l’armée russe dans laquelle il se tenait contre un mur, droit et silencieux, mais en étant présenté comme le « chef d’un bataillon fasciste punitif », ils ont décidé de crier la vérité pour le sauver. Qui est Maksim Butkevitch ?

Maksim Butkevitch est né en 1977. A 13-14 ans on le voit dans les manifestations lycéennes de Ky’iv (ici à 47′ 40″) et il est dans les pionniers du syndicalisme étudiant ukrainien. Il fait ensuite des études d’anthropologie en Grande-Bretagne, puis, de retour en Ukraine, il est un défenseur infatigable des droits humains, anarchiste non violent, mais d’une totale fermeté. Reconnu dans ses activités en faveur des migrants et des réfugiés, il sera porte-parole en Ukraine de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, tant ceux venant, en Ukraine, d’Asie centrale (Ouzbékistan), que les réfugiés de l’intérieur ayant quitté la partie occupée ou en guerre du Donbass à partir du printemps 2014, ainsi que les réfugiés de Crimée, opposants politiques et tatars. Il est aussi membre du Conseil de la santé publique d’Ukraine, du conseil d’administration d’Amnesty International, et l’un des fondateurs de l’importante radio indépendante Hromadske. Il s’est confronté à tous les gouvernements ukrainiens successifs ainsi qu’à l’extrême-droite, notamment lors de heurts à K’yiv en 2019, pour la défense d’un réfugié politique anarchiste bélarusse. Toujours non-violent mais toujours d’une fermeté imparable.

Je l’ai personnellement rencontré dans le cadre de la campagne pour la libération des prisonniers politiques ukrainiens de Crimée, l’anarchiste et syndicaliste Alexandre Koltchenko et le cinéaste Oleg Sentsov, que le FSB avait kidnappés et conduits en Russie, où il furent condamnés à respectivement 10 ans et 20 ans de « camp à régime sévère » puis finalement libérés fin août 2019 suite à la campagne européenne menée, et coordonnée notamment par Maksim.

Tous les trois sont devenus des combattants, comme des centaines de milliers d’ukrainiens, le 24 février 2022. Je me rappelle avec émotion son message Facebook de fin mars dans lequel il se montrait en uniforme, fusil à la main, affirmant n’avoir pas changé de convictions – antimilitariste et partisan de l’abolition des frontières – et s’être senti pour cela même dans l’obligation de rejoindre un régiment. Je lui ai écrit que je n’avais aucun doute sur le maintien de ses convictions et sur le fait qu’il était où il devait être. C’est là une évidence : pour ne pas la comprendre, il faut soit avoir peu vécu soit n’être pas sorti d’une vision du monde où la Russie serait toujours quoi qu’il arrive une terre promise. Ces hommes, ces camarades, ces amis, ces compagnons, ces combattants, sont des internationalistes partisans de la patrie humaine et en même temps des partisans d’une Ukraine libre, souveraine, démocratique, antifasciste et citoyenne. Il n’y a pas de contradiction.

Maksim devenait un chroniqueur de guerre, avec trois « amis » précieux : « mon sac de couchage, mon fusil et ma tablette numérique ». Il écrivait directement en anglais, depuis son unité où l’on parlait indifféremment ukrainien, russe et suryuk (le mélange des deux). Son billet sur la libération de Butcha, où il est entré en sortant les gens terrés dans leurs caves, est un document humain et aussi une sorte de célébration de Pâques faite au nom de « la vie » qui entrera dans les annales de l’expression poétique par temps de désolation.

Un peu avant ou un peu après sa capture, tous ces documents ont disparu du net mais des amis en ont heureusement préservés certains. Ainsi donc, c’est cet homme, dont le mot-d’ordre était no border et pour qui une injustice pour une ou un était une injustice pour tous, que les services de propagande impérialiste et raciste prétendaient faire passer pour « fasciste » et « néo-nazi », nous renvoyant aux procès de Moscou et à la nuit de l’Inquisition.

Le 22 août dernier, il est apparu dans une émission de propagande russe montrant un groupe de prisonniers, dans la région de Louhansk, auxquels il était permis de téléphoner – sous les caméras – à leurs familles. Il fait partie de ceux qui ne bougent pas et ne disent rien. Ses cheveux sont devenus blancs en deux mois. Il a gardé le même regard. Mais le choix de le montrer ainsi, implicitement, est un premier résultat de l’alerte diffusée en Ukraine et en Europe par le Réseau Européen de Solidarité avec l’Ukraine, constitué d’organisations et de militants de gauche et du mouvement syndical. Nous savons donc trois choses : qu’il est en vie, qu’ils ne l’ont pas fait parler, et qu’il a été au moins pour cette vidéo présenté officiellement comme prisonnier de guerre et pas comme « nazi ».

C’est donc maintenant qu’il faut amplifier le combat contre le mensonge illimité et pour la liberté. Comme le demande le conseil municipal de Commentry unanime dans la motion qu’il a adoptée le 25 août, nous exigeons, dans le cadre de l’objectif général d’arrêt de la guerre par la libération de la totalité du territoire ukrainien, et de libération de tous les prisonniers de guerre et/ou prisonniers politiques, que, immédiatement, le lieu de détention de Maksim Butkevitch soit connu et que le statut de prisonnier de guerre lui soit explicitement garanti.

Le conseil fédéral départemental de la FSU de l’Allier, réuni pour la rentrée scolaire ce lundi 29 août, a décidé de prendre position en ce sens et appelle notre fédération, l’ensemble des organisations syndicales et les élus attachés à la démocratie, à faire de même au plus vite.

Vincent Présumey, secrétaire départemental FSU 03.

Maksim l’an dernier.

Oleg Sentsov aujourd’hui.

Alexandre Koltchenko aujourd’hui.