Voici l’intervention faite hier au 10° rassemblement de Rocles pour la réhabilitation de tous les fusillés pour l’exemple de 1914-1918 par Vincent Présumey au nom de la FSU 03 :
Chers amis, compagnons, citoyens, camarades,
voici plusieurs années que dans ce rendez-vous militant pour la réhabilitation de tous les fusillés pour l’exemple de la boucherie impérialiste (appelons les choses par leur nom ! ) de 1914-1918, nous évoquons ce qu’il est convenu d’appeler la mémoire, mais pas la mémoire officielle, celle, majoritaire, du peuple, des familles, des exploités et des opprimés pour qui la boucherie ne fut pas une victoire, mais bien une boucherie, et dans lequel nous rappelons l’histoire, scientifique et sérieuse, dans laquelle la prétendue victoire portait en elle, comme la nuée l’orage, une autre guerre et la réaction nationaliste, et nazie, et donc la suite du grand déclin et de la grande brutalisation de l’Europe capitaliste.
Voici plusieurs années que nous disons ces vérités, et que dans le monde alentour tantôt il est beaucoup question, tantôt il est fort peu question, de ce moment hélas fondateur de tous nos combats présents.
Cette année, le moins que l’on puisse dire est qu’on en entend parler !
Nul ne peut en effet ignorer que l’industrie commémorative bat son plein en associant dans la plus totale confusion les notions de « victoire » et de « paix », de « mémoire » et d’ « histoire ». Dans cette foire mémorielle, le meilleur existe mais le pire ne manque pas.
Demandez mon poilu, mon beau poilu, il est beau, il n’est pas très frais (c’est un poilu), il a écrit des lettres de poilu à sa femme de poilu, demandez mon poilu ! A chaque collectivité son estrade à poilus, c’est la grande foire aux poilus, et dans cette compétition, écoles, collèges et lycées sont invités à ne pas être en reste, puisque, comme l’écrit le ministère dans sa circulaire sur le 11 novembre, « la transmission de la mémoire est l’une des missions de l’Ecole ».
Réfléchissons une seconde à cette affirmation : c’est en instruisant et, en l’occurrence, par l’enseignement de l’Histoire, que, par surcroît et inévitablement, l’école doit contribuer à la construction et à la transmission de la mémoire. Lui confier la mission de cette transmission relève, par contre, de la plus totale confusion et ne peut que conduire à des dérives, consistant à orchestrer une mémoire officielle et à porter atteinte à la liberté de conscience.
Dérives que ces opérations de mobilisation générale à l’échelle d’un collège, où tout le monde doit se mettre en rang devant le drapeau – c’est dans l’Allier-, ou que ces séances de déguisement collectif d’enfants en poilus faisant la guerre, cependant qu’il s’est trouvé un Directeur académique, dans un autre département (l’Indre), pour prétendre interdire la chanson de Craonne dans une commémoration municipale !
Qu’on se comprenne bien, nous ne préconisons en rien un enseignement pacifiste et révolutionnaire de l’Histoire, mais un enseignement laïque qui donne les éléments nécessaires à la formation de l’esprit critique pour que les consciences se forment elles-mêmes.
Et puisque nous parlons de dérives dans l’Éducation nationale, n’oublions pas les dérives cléricales de certaines municipalités allant jusqu’à organiser une messe municipale le 11 novembre, ce qui nous ramène dans l’Allier en l’occurrence à Commentry demain matin …
Tout cela étant dit, rendons à César, si j’ose dire, ce qui revient à César : l’épicentre de toutes ces dérives est au sommet de L’État, à la présidence de la V° République dont le titulaire en pleine « itinérance mémorielle », nous dit-on, vient d’exhiber le summum de la confusion, en célébrant la mémoire d’un « grand soldat » nommé Philippe Pétain, dont les exploits de « grand soldat » n’auraient point, selon lui, été gachés par quelques funestes initiatives prises par la suite !
Disons clairement que le « grand soldat » a été un boucher, comme ses collègues Foch, Joffres Galieni, Franchet d’Esperey et autres Nivelles, un organisateur du massacre européen dans les tranchées de Verdun et un fusilleur de résistants à la guerre, comme le politicien Clemenceau. Et qu’à ce titre, il y a continuité politique et continuité humaine, ou, disons, inhumaine, de cette action de « grand soldat » Pétain à la suite de sa carrière au service de l’État impérialiste français, comme massacreur dans le Rif marocain où il utilisa le gaz moutarde de 14-18, comme ambassadeur auprès de Franco, puis comme chef de l »État français », collaborateur en chef avec Hitler, persécutant les résistants de 1940 comme il avait persécuté les internationalistes de 1914, livrant les Juifs à l’État impérialiste du national-socialisme allemand, laissant dépérir des dizaines de milliers de handicapés mentaux dans les hôpitaux français … Oui il y a continuité, l’histoire de Pétain est un bloc, c’est le bloc de la réaction, de la régression, de la contre-révolution dont 1914 est l’année fondatrice.
Et disons enfin, puisque nous en sommes au centenaire du 11 novembre 1918, que cette date là n’est pas exactement celle de la fin de la première guerre mondiale dont tout le monde savait au moins depuis deux jours qu’elle était terminée, car, le 9 novembre, des centaines de milliers de manifestants allemands, formés en trois colonnes conduites par les social-démocrates révolutionnaires Hoffman, Eichhorn et Liebknecht, avaient pris d’assaut et s’étaient emparés de tous les lieux de pouvoir à Berlin, renversant le second Reich. De plus, les soldats ont dû rester « sous les drapeaux » encore de longs moins au delà du 11 novembre.
Voila un fait historique, occulté dans ce qu’il est convenu d’appeler la « mémoire », qu’il est bon de faire connaître à la veille du grand raout organisé par M. Macron au nom de la « paix » et tout en commémorant une prétendue victoire, où sont invités les Trump et les Poutine, les Poutine et les Trump, ces figures de la guerre dont le capitalisme d’aujourd’hui porte visiblement en lui comme la nuée l’orage, comme disait Jaurès.
Et voila pourquoi le combat pour la réhabilitation de tous les fusillés pour l’exemple de 1914-1918 n’est pas terminé, pourquoi il va continuer, et pourquoi, commémoration ou pas commémoration, « devoir de mémoire » ou pas « devoir de mémoire », il va, lui, continuer et s’amplifier, au nom de l’histoire et au nom du combat de tous opprimés pour l’émancipation de l’humanité, pour que nos enfants aient un monde vivable, sans guerre ni exploitation.