L’article ci-dessous est une contribution personnelle soumise à discussion.
Voici bientôt un an que l’enseignement public en France est gravement perturbé par la pandémie, ses conséquences et la manière dont elle est gérée, ou non-gérée, par gouvernement et ministère. A ce jour et à cette heure, la masse des personnels persiste à faire tenir la boutique, traumatisée par la fermeture du printemps, malgré les risques, malgré les difficultés, et malgré un ministre qu’on n’écoute que pour détecter quels seront les prochains contrordres et les prochains désordres. Cette période d’effondrement, où nous faisons, profs, élèves, familles et autres personnels, en sorte que ça ne s’effondre pas plus, est d’ores et déjà riche de « leçons », de sujets de réflexions et de pistes, qui ne vont pas forcément dans le sens des idées reçues, de l’air du temps, de la doxa dominante. Dans cet article, j’en propose cinq, histoire de lancer des discussions possibles et utiles.
Et d’une : le distanciel, ça n’est pas l’avenir.
Le grand confinement du printemps, qui fut subit, a été accompagné d’un immense show officiel à la gloire de l’informatique, des ENT et de l’enseignement à distance. Il s’est vite transformé en cacophonie, car ça ne marchait pas. Depuis, techniquement, ça s’est rôdé.
Mais il serait profondément erroné de faire croire que tout va bien, hormis les bugs et les « inégalités » par lesquelles un certain nombre de Kevin et de Mohamed seraient du mauvais côté de la « fracture » par rapport à un certain nombre de Garance et de Charles-Edouard. Quand bien même bugs et inégalité d’accès au numérique seraient surmontés (et, de plus, il n’y a aucune chance qu’ils le soient !), reste l’essentiel : le numérique, ça ne le fait pas.
Parce que la transmission, acte social constitutif des sociétés humaines, constitutif de l’humanité, cela se passe de personne à personne, et que l’enseignement, ça se passe entre l’enseignant et des groupes sociaux, plus ou moins groupés par classes d’âges, que l’on appelle des « classes », et que RIEN ne remplace cela. De ce point de vue l’échec réel des discours dominants est complet : la démonstration massive, à l’échelle de millions et de millions de personnes, qui a été faite, est que le « distanciel » n’est et ne peut être qu’une des composantes supplémentaires, un adjuvant parmi d’autres, d’un dispositif social et didactique de transmission qui consiste dans la socialisation en commun d’enfants et de jeunes avec des professeurs qui enseignent, et qu’on détruira peut-être cela, mais qu’on ne le remplacera point.
Si ces propos sont conservateurs, alors soyons conservateurs. Mais ils ne le sont pas : en quoi serait-il rétrograde de vouloir maintenir, rétablir, approfondir et améliorer le lien de transmission d’humain à humain ? L’informatique a évidemment sa place dans le dispositif. Sa place. Elle n’est pas le dispositif. Et la substituer aux autres formes de transmissions, lui accorder la première place, a d’ores et déjà des effets pathogènes : combien d’étudiants, d’enfants, d’enseignants, sont aujourd’hui des malades, au sens médical du mot « malades » et pas au sens figuré, de Zoom et de « Ma classe à la maison » ?
Que la généralisation de cette idole à l’occasion de la pandémie, puisse aider à briser l’idole, serait la meilleure des choses qui puisse arriver. Sur cette base, on pourra aussi faire de l’informatique et de la transmission à distance, intelligemment. Sur cette base.
Et de deux : en demi-groupes, c’est mieux !
Si beaucoup de classes de lycées et certaines en collèges continuent à tourner, et surtout si les personnels concernés constatent que malgré tout pour l’instant ils « tiennent », c’est aussi pour une raison qu’il serait bon de rendre publique : qu’est-ce que c’est moins fatiguant pour tout le monde à 15 élèves plutôt qu’à 30 !
On le savait, mais c’était devenu un peu théorique pour beaucoup. On le redécouvre ! Ceci n’est absolument pas contradictoire à la nécessité d’organiser la transmission dans le cadre de groupes-classes. Il y a deux manières de casser les classes et par là de casser la transmission : les surcharger et multiplier les à-côté, trucs et machins dispersant les élèves dans divers autres sous-groupes émiettés. Consolider les classes, c’est les alléger. A tous les niveaux. Cela va mieux en le disant !
Et de trois : le Bac Blanquer aggrave la crise.
Le confinement, dans les lycées, s’est abattu alors que le mouvement de protestation contre les « E3C » et la rupture d’égalité qu’ils organisaient montait dans tout le pays. Depuis, le ministère, généralement en attendant le dernier moment, change les règles du jeu au fur et à mesure au motif de la situation sanitaire.
Remarquons bien que M. Blanquer a, cette année, rapidement fait basculer en contrôle continu complet les matières qui relevaient dans son nouveau Bac des épreuves dites communes, postulant par avance qu’au printemps des épreuves communes ne pourraient pas être organisées, mais qu’il fait de la rétention, qui approche de son point critique, en ce qui concerne les nouveaux « E3C » dans les enseignements de spécialité, machines à brasser les élèves ce que les protocoles sanitaires interdisent par ailleurs, ne voulant surtout pas les faire déchoir !
Très clairement, pandémie et Bac Blanquer se combinent pour liquider les normes jusque là traditionnelles de fonctionnement de l’Éducation nationale et de la classe d’âge concernée, et de toute la société avec elles, consistant à en « mettre un coup » pour sortir du secondaire avec un bagage.
Le plus remarquable est que, toutes et tous, nous continuons à fonctionner ainsi. Mais sans plus aucune garantie. L’élève de Terminale ne sait plus quels examens il va passer, ou non. Qu’on ne vienne pas nous raconter que c’est là une astuce du SARS-Cov-19 …
Et de quatre : et pourquoi pas le plein air ?
Dans la dernière fournée de mesures sanitaires pour l’affichage, avec les couvre-feux partout à 18h pour qu’on s’entasse dans les supermarchés entre 12h et 14h, figure la fermeture des gymnases : en EPS, tous au frais pour profiter de ce qui est peut-être, sais-t-on jamais, l’une des dernières vagues de froid de ce siècle de chaud effondrement !
Le burlesque de cette mesure – gymnases vides à côté des salles de classe à 35 élèves – attire au moins l’attention sur ce qui aurait pu être la grande innovation pédagogique de la pandémie : le plein air !
Force est de constater qu’on n’y a pas « pensé ». Au printemps dernier il fallait se confiner devant un ordinateur qui boguait. Se retrouver en demi-groupes sur une place publique, dans un pré ? Cela demande moins de moyens et moins de consommation énergétique que le « distanciel » ! Et si les sports de plein air sont permis, salubres et salutaires, pourquoi les activités culturelles, littéraires, musicales et artistiques ne le seraient-elles pas ? Pourquoi n’a-t-on pas « pensé » à ouvrir musées et expositions pour ce type d’activité ?
Certes, cela aurait moins fait circuler le capital des GAFA, mais cela aurait fait plus respirer, étudier, et même jouer – et remettre du ludique dans la transmission !
Et de cinq : heureusement qu’il y a les élèves.
Dans un essai sympathique et stimulant qui vient de paraître (Un hamster à l’école, éd. La Fabrique), Nathalie Quintane, prof de collège, parle juste :
« Il n’y a pas de mutation du métier d’enseignant, il y a une liquidation. »
Mais la situation ne se résume pas à ça. Les enseignants ne sont qu’une des composantes de l’école et la première des composantes, ce sont les élèves. Or, force est de constater qu’il n’y a pas en ce moment de mutation du métier d’élève, ni de liquidation, car ils persistent dans leur être. Ils ont raison !
Globalement, la capacité d’adaptation des élèves, de 6 à 20 ans, est impressionnante. Ils viennent masqués, les mains pleines de gel, et ils font ce qu’ils savent faire et veulent continuer à faire : les élèves. Ils persistent à vouloir en mettre un coup en Terminales pour sortir de là avec le plus de bagage possible. N’est-ce pas admirable ? C’est un peu automatique, mais c’est d’autant plus remarquable ! Les élèves tiennent (pour l’instant). Ils ne préfèrent pas l’école à la maison, ni l’école buissonnière. L’école buissonnière est une expérience rigolote, un rite de passage, quand il y a école. Les enfants et les jeunes veulent l’école, ils veulent le collège, ils veulent le lycée.
Quand ils sont privés de cours, ils ne tiennent pas : la santé mentale des étudiants est une énorme, une immense tragédie, que le gouvernement a dû reconnaître tardivement, le mal fait.
A travers nos élèves, c’est la société qui tient, c’est nous tous. C’est par là, parce que nous sommes les maîtres-d ’œuvres d’un besoin social qui n’est pas la circulation ni l’accumulation du capital, mais qui est la transmission du lien social et de l’acquis culturel voué à être critiqué et enrichi, c’est par là que nous aussi nous tenons, et c’est pour cela que nous ne nous laisserons certainement pas liquider !
Vincent Présumey.