Le 11° rassemblement pour la réhabilitation de tous les fusillés pour l’exemple de 1914-1918 s’est tenu samedi 9 novembre.

Deux faits à noter. Nous avons appris que le Conseil exécutif de Corse a voté cette réhabilitation et appelle la République à la mettre en œuvre. Et J.P. Dufrègne, député, a déploré le refus – car il s’agit d’un refus, motivé par le fait qu’elle ne couvrirait plus les cérémonies (?!) – de la rédaction de la Montagne de couvrir ce rassemblement d’une forte signification. Le seul média présent était RCF.

Ci-après : l’intervention faite par Vincent Présumey au nom de la FSU.

Sur la photo ci-dessous : Vincent Présumey intervenant, à droite Robert Bougerolles maire de Rocles, Jean-Paul Dufrègne député de l’Allier, Olivier Mathieu président de l’Association laïque des amis de Pierre Brizon (député socialiste de l’Allier qui a voté contre les crédits de guerre en 1916 et après et a participé à la conférence internationaliste de Kienthal), Bernard Brizon (petit-fils de Pierre Brizon). Est également intervenu Jacques Lachaise, pour la Libre-Pensée.

L’illustration de présentation de cet article est une carte postale ancienne en l’honneur de Jeanne Labourbe, originaire de Lapalisse, institutrice en Russie, organisatrice de la propagande révolutionnaire dans le corps expéditionnaire français à Odessa en 1919, torturée et assassinée par un commando d’officiers français peu avant les mutineries de la flotte de la mer Noire, qui mettrons fin à cette intervention.

 

 

Amis, camarades, compagnons, citoyens,

Nous voici donc à nouveau rassemblés pour la réhabilitation de tous les fusillés pour l’exemple de 1914-1918, et nous sommes en 2019. Les commémorations officielles de la grande boucherie se sont déroulées, et la réhabilitation n’a pas eu lieu. Ni Sarkozy, ni Hollande, ni Macron, n’en ont voulu. Il serait pourtant simple de la mettre en œuvre, d’un « coût » nul puisque le coût de tout ce qui est social et démocratique inquiète tant ces gens, mais c’est trop dur pour l’Etat, pour cet Etat de la V° République qui interdit à la République, la vraie, de reconnaître comme les siens ces hommes qui ont, souvent, refusé le faux combat qu’on voulait leur imposer, mené parfois le vrai combat contre leurs officiers, et ces femmes, épouses, mères, compagnes et sœurs, qui ont souffert avec eux et souvent doublement par la suite. Nous voici donc à nouveau rassemblés.

Puisque centenaire il y eut, poursuivons donc l’examen de ce qui fut voici cent ans, car, hélas, nous ne serons pas si dépaysés. La France, l’impérialisme français, se croyait alors vainqueur et voulait goûter les fruits de sa victoire. Elle influença de manière décisive le traité de Versailles, violation du droit de peuples au nom du droit des peuples, retournant contre les prolétaires allemands et contre la nation allemande, qui devait « payer », les frais de la guerre et de sa supposée victoire, tout en préservant ce qu’il fallait de Reichswer et de Frei-corps pour assassiner Rosa Luxemburg et fournir le terreau de la réaction ultra-nationaliste la plus terrible, invitée à se retourner contre les forces d’émancipation en Allemagne, ce qu’elle fit, à Berlin, Dresde ou Munich. Cette France de Clemenceau poursuivait la guerre, défendant ses colonies, organisant le blocus, le typhus et la famine contre la Russie rouge et les peuples de l’ancien empire des tsars son allié, et l’encerclement de la Hongrie rouge, première à défier les traités dit de paix en préparation, livrée à la réaction, à l’inculture et à l’antisémitisme. C’est la France qui acquittait l’assassin de Jaurès, Raoul Vilain, ultérieurement exécuté par la colonne anarchiste Cultura y accion lors des combats entre révolution et contre-révolution espagnole en 1936.

Cette France pensait régenter l’ordre mondial, et reconstituer l’alliance franco-russe de 1914 avec les généraux blancs Koltchak et Denikine, dont les bandes antisémites ont à plusieurs reprises semblé pouvoir reprendre le contrôle de la Russie durant cette année 1919. A l’intérieur, c’était la France de l’ordre moral, qui allait punir les femmes avorteuses de la peine de mort pour, disait-on, faire face au danger de disparition de l’espèce après le grand carnage, ou au danger de son grand remplacement par les migrants qui, alors, venaient principalement d’Europe orientale, mais déjà aussi du Maghreb et d’Afrique après avoir fourni des soldats.

Hélas oui, cette France a quelques points communs, n’est-ce pas, avec la France d’aujourd’hui, celle dont le président, après avoir appelé à construire une « société de vigilance » contre l’ « hydre islamiste », adopte une bordée de mesures contre les migrants, dont la mesure phare, celle qui est d’application immédiate, celle qui fait le plus de bruit, concerne la santé : l’accès à l’aide médicale d’Etat est supprimé aux arrivants, pour trois mois, rendu plus difficile ensuite. C’est une mesure que Macron avait promise à Valeurs actuelles et à son lectorat. Elle vise les pauvres, elle vise les jeunes arrivant, femmes et hommes, quasiment toutes et tous violés en Lybie ou au Maroc, en besoin urgent d’aide médicale et psychologique. Elle enjoint de fait aux médecins de trahir le serment d’Hippocrate, elle s’assoie sur la convention internationale des droits de l’enfant dont la France est signataire, et, de l’avis de l’Ordre des médecins, elle fait courir des risques épidémiologiques à toute la population. Et, sur le plan international, après la débâcle de la politique de renouveau de l’Union Européenne et du couple franco-allemand annoncée par Emmanuel Macron en 2017, c’est la tentative de reconstituer une alliance franco-russe avec Vladimir Poutine au moment précis ou la société russe s’ébranle et où la jeunesse russe ne veut plus de lui.

En rappelant ces faits, nous ne sommes nullement en train de nous éloigner du sujet qui ici nous rassemble. Car bien entendu, nous le savons et le ressentons toutes et tous, cette France impérialiste n’est pas la nôtre, mais il en est une autre, majoritaire, celle de la solidarité, internationale et nationale, de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, de la laïcité, celle qui n’a pas à réhabiliter les fusillés pour l’exemple car toujours ils ont été les siens, mais qui exige de l’Etat qu’il les réhabilite, au nom de la République, de la dignité de la République, de l’essence même de la République. Et, mes chers camarades, il nous est permis d’espérer.

Il nous est permis d’espérer, non pas en nos gouvernants, mais en nos luttes, puisqu’en ce jour, les mobilisations insurrectionnelles dans de nombreux pays du monde marquent le climat planétaire. Je n’en citerai que deux, car ils résument bien cette vague : le Chili et l’Irak. Ces deux pays représentent les peuples qui ont le plus souffert depuis des décennies et qui se lèvent soudain, nus et magnifiques, avec une jeunesse dressée, les femmes en avant, signe de la réalité des révolutions. Quelle meilleure façon de commémorer la chute du mur de Berlin que le renversement du mur du néolibéralisme par le peuple et la jeunesse du Chili ?

Nous pouvons donc espérer car c’est aussi cela, la toile de fond de notre combat, alors que se prépare et se discute, dans toute la France, la réalisation du Tous ensemble au même moment pour stopper les reculs sociaux.

Que ces quelques mots soient dédiés, pour conclure, à deux femmes assassinées en 1919. L’internationaliste, polonaise, allemande, russe et juive, la révolutionnaire Rosa Luxembourg, assassinée en janvier. Et une bourbonnaise. Jeanne Labourbe, issue d’une famille de prolétaires républicains de Lapalisse, partie enseigner en Russie au début du siècle dernier. En 1919 elle organisait la propagande internationaliste parmi les troupes françaises envoyées par Clemenceau à Odessa, une propagande qui ne fut pas sans effet car les marins de la mer Noire allaient bientôt se mutiner, mettant fin à cette guerre là qui prolongeait 14-18. Le soir du 1° mars 1919, kidnappée par une équipe d’officiers français, Jeanne Labourbe était sauvagement torturée et assassinée.

L’espoir qui nous porte peut ainsi, certes, être assassiné. Mais il ne peut pas être tué car il est celui de l’humanité universelle qui veut supprimer la guerre et l’oppression. C’est donc avec entrain que nous allons continuer !