Le message de cet article s’adresse d’abord aux collègues d’Histoire-Géographie et avec eux à tous les éducateurs et citoyens éclairés et soucieux de Lumières – les vraies.
Un grand « spectacle historique sons et lumières » est annoncé pour les 11-13 juillet au CNCS à Moulins, spectacle qui se targue – c’est pour ses promoteurs sa plus grande qualité – d’être à l’image du Puy du Fou en Vendée. Ces dates précédant le 14 juillet, on peut deviner sans peine que du point de vue de la mairie de Moulins ce sera donc là un moment attractif aboutissant au 14 juillet.
Tout prof d’Histoire, tout historien sérieux, est plus que réservé sur le genre « Puy du Fou ». Cette histoire-spectacle cultive non un savoir historique, mais un « roman national » idéologiquement orienté, mais qui se présente comme une « mise en valeur de l’Histoire et du patrimoine ». C’est particulièrement flagrant à lire la litanie de glorification du spectacle de « Murmures de la cité », l’entreprise organisatrice, qui figure en bonne place sur son propre site mais aussi sur ceux du Syndicat d’Initiative de la Ville de Moulins, du Conseil Départemental et du CNCS.
Extraits du début et de la fin : « Dans la pénombre, le décor s’ouvre sur une vieille grand-mère assise au bord d’un lit, des gravats encore épars autour d’elle, témoins d’un bombardement tout juste terminé. Ses petits-enfants, blottis contre elle, l’écoutent en silence alors que des rumeurs de la Libération montent des rues lointaines. La grand-mère, le regard perdu dans le vague mais empreint de tendresse et de fierté, leur murmure : « Ce que nous vivons aujourd’hui n’est qu’un instant dans une longue et grande histoire. Ce sursaut, mes petits, fait écho à tant d’autres. Depuis toujours, ce pays se relève, fort d’une foi ancienne et de cette flamme qui ne s’éteint jamais. Avant nous, il y a eu des hommes et des femmes qui ont bâti cette terre, qui l’ont unie, protégée et aimée… Et nous ne faisons que reprendre le flambeau, à notre tour. » Ses mots se mêlent aux premiers rayons d’un jour nouveau, éclairant peu à peu les scènes d’un passé lointain où d’autres résistants, rois, guerriers et bâtisseurs se sont levés pour construire la France, celle qu’elle sait indestructible et éternelle. »
« Dans cette conclusion empreinte de lumière et d’espoir, la France est dépeinte comme un pays éternel, guidé par la Providence, qui survit aux tourments, se réinvente et se projette dans un avenir toujours plus lumineux, porté par l’énergie et la volonté de son peuple. »
La « France guidée par la Providence » est donc à l’affiche sur les pages municipales et départementales !
L’orientation est politico-religieuse : la France éternelle, qui existerait depuis les Gaulois, serait guidée par la Providence. Pour attirer le chaland, la liste des thèmes successifs est calquée sur les images scolaires d’antan, qui évitaient toutefois, elles, une connotation par trop religieuse, et s’avère pour le moins sélective : Vercingétorix, Clovis se convertissant au christianisme, sont les deux figures légendaires du début, suivis de Saint Odilon et Saint Mayeul, des « châteaux et chevaliers », Jeanne d’Arc (ou disons … sa légende présentée comme vérité !), Anne de Beaujeu, Sainte Jeanne de Chantal, Richelieu, Colbert, Villars (« centurion de Louis XIV », la formule date en fait d’un livre de 1996), la Révolution (?) présentée ici comme un moment où l’étranger menace la France, Napoléon qui la redresse (la Révolution l’avait donc affaiblie …), « la portant au sommet » (cela s’est terminé en catastrophe : apparemment pas un mot), et la Libération.
Ce topo exalté ne permet pas de deviner quels sont les thèmes finaux, précédant la Libération présentée comme unité nationale totale (ce qu’elle ne fut certainement pas !). Un passage notamment interroge : « Cependant, elle résiste, se relève avec résilience en 1870, puis en 1914 et encore en 1940, une persistance qui montre à chaque épreuve la capacité de la France à se reconstruire. »
Quid de cette résilience en 1940 ? La Libération c’est en 44 ; en 40 ce n’est pas la résilience, c’est le fond du trou. Ou alors … est-ce la « rénovation nationale » du Maréchal Pétain intégrant la France dans l’ordre brun européen de la Shoah imminente et des camps qui serait suggérée là ?
La question mérite d’autant plus d’être posée si nous regardons les soutiens de cette initiative : à côté des subventions publiques de toutes les collectivités territoriales incluant le lieu du spectacle, nous avons en bonne place le « Fonds du Bien Commun », « acteur majeur de la philanthropie française » (sic), pièce centrale de l’empire du milliardaire, français et néanmoins exilé fiscal en Belgique, Pierre-Edouard Stérin, mécène du Rassemblement National et coach national de la formation des élus d’extrême droite.
Et bien entendu, partisan de l’enseignement privé religieux où il a lancé l’association Excellence ruralité, qui entend prospérer dans les zones rurales où le gouvernement ferme les écoles publiques, pour « incuber les écoles libres » afin de former des « hommes debout » à même de redresser la « France éternelle, guidée par », etc. Telle les vautours, Excellence ruralité prospecte dans le Cher, la Saône-et-Loire : bientôt l’Allier ?
Une figure clef du financement et du management de l’extrême droite.
Un cousin idéologique de cet autre catholique tendance Opus Dei qu’est le vice-président américain J.D. Vance …
Résumons : les fonds publics servent à une entreprise sponsorisée par des forces politico-financières d’extrême droite, qui nous préparent un gloubi-boulga inquiétant passant pour un joli spectacle (hé oui, il y aura du son et des couleurs …) mais avec un contenu, explicite ou implicite, visant à rétablir cette imaginaire France éternelle, pure et providentielle …
Apparemment l’ensemble des collectivités locales contributives (avec nos impôts) n’y ont vu que du feu, ce qui questionne sur l’état de l’instruction publique, non parmi la jeunesse, mais parmi nos édiles !
N’est-il pas temps que les citoyens éclairés de toutes opinions, attachés à la République laïque, se manifestent ?
Pour la FSU Allier, Vincent Présumey.