Nous avons vu ce soir sur FR3 le film « Ici tout est loin » conçu pour faire l’éloge de l’association « Chemins d’avenir » et de sa fondatrice, Salomé Berlioux, originaire de Neure, dans le pays de Lurcy. De belles images, incontestablement : paysages, visages aussi, et même animaux.
La thématique de ce reportage largement paysager est la suivante : les enfants de cette contrée, qui est donc la partie Nord de notre bocage bourbonnais, souffrent d’une terrible maladie nommée le « manque d’ambition ». Le mot et la notion même d' »ambition » sont suspects à certains d’entre eux. Contre cela, le remède est « Chemins d’avenir » qui sait faire jaillir l’étincelle de leur potentiel, avec des résultats annoncés comme magnifiques.
Cet état d’esprit d’une grande partie de nos élèves, et de leurs parents, nous le connaissons. La question de ses raisons d’être est absente de ce film, sauf à tout expliquer par l’éloignement géographique vu qu’ici ce serait « vide » – ce qui n’est pas le cas comme les mêmes images du même film le montrent bien, volontairement ou non. Sous ces mots « manque d’ambition », jetés à la figure d’adolescents et de parents qui savent ce qu’est vivre de peu et aussi ce qu’est travailler pour vivre de peu, se dessine un vieux déni : le déni de leurs ambitions véritables. Combien de fois avons-nous entendu dire par les services de l’Éducation nationale que le » public » de l’Allier est trop porté à l’enseignement professionnel, à l’enseignement agricole ? Hé oui, il est formé par une histoire de vie et de lutte ouvrières et paysannes – et ouvrières à la campagne.
En amont de ces mots, « manque d’ambition », largement intériorisés, sur le dos de ces jeunes et de leurs parents, il y a des décennies de refoulement de leurs ambitions, de fermetures de sections industrielles, et de méfiance – longtemps justifiée disons-le- envers les lycées de « centre-ville » pour bourges méprisants envers ceux des alentours, de cette laborieuse verdure.
Cette dimension sociale, et historique, de la question territoriale, semble absente ici. Sous une forme ayant les atours de la proximité et de la « bienveillance », l’idéologie de « moi-Société Anonyme » (« moi-SA »), de l’ « autonomie » du jeune censé aller décrocher sa place en jouant des coudes, pointe son nez par derrière, transformant facilement la discussion sur les souhaits d’orientation en une sorte de semi-confession, de sondage psychologique qui renvoie chacun à sa seule responsabilité, tout en lui promettant le coup de pouce d’un « ‘parrainage ».
Vos parrains, peuvent être « des photographes, des avocats ou des ostéopathes », dit S. Berlioux dans une scène d’intervention auprès d’élèves du collège de Lurcy. Qu’il soit permis de trouver cet assortiment spontané assez significatif tout de même.
La vision des jeunes du pays de Lurcy n’est pas ici produite au terme d’une étude où ceux-ci s’exprimeraient sans pression, mais elle est posée a priori, surplombante : les bienfaiteurs savent qu’ils manquent d’ambition, et qu’il faut leur faire cracher le morceau pour que quelques uns se « révèlent ». Bien entendu, cela peut faire du bien individuellement à certains. Qu’il soit permis toutefois d’avoir trouvé pénible la scène d’injonction à l’autonomie adressée à un jeune en fin de 3°, renvoyé à sa seule responsabilité individuelle et donc s’entendant signifier par avance, de fait, que tout échec sera de sa faute. L’idéologie du « moi-SA » est ici pleinement à l’œuvre, mais le pire peut-être, est qu’elle n’est pas mise en œuvre par Chemins d’avenir, qui garde pour soi sa bienveillance affichée, mais par le principal du collège.
Il y a dans tout le bocage non seulement une tradition d’ambitions ouvrières, paysannes et forestières, mais un passé de luttes y compris récent et actuel. Ce collège et ces écoles, et y compris leurs femmes de ménage, nous avons eu à les défendre à la FSU, c’est-à-dire à les aider à lutter, collectivement. Il y a d’ailleurs des ressources culturelles locales … une remarquable médiathèque à Lurcy, mentionnée en passant par un jeune dans le film, et des associations comme la Chavannée, dont une activité festive figure dans le film, ce qui n’y est pas signalé …
Bref : nous ne débattrons pas des bonnes intentions, mais une question se pose. Le parrainage par « les photographes, les avocats et les ostéopathes » remplace-t’il l’offre de service public ? Non ! – d’ailleurs, S. Berlioux ne le prétend pas. Mais c’est bien un choix politique seul, et nullement une fatalité territoriale, qui peut faire que l’on se retrouve avec un film entier sur l’orientation des jeunes dans lequel n’existent pas les centres d’information et d’orientation intervenant dans tous les collèges et lycées publics et dont les personnels se battent, depuis cette lointaine ville de Moulins (40 km) pour leurs postes, la maintien de leurs missions, contre sa régionalisation et son sabordage organisé par le ministère ! Alors que cette région du bocage du Nord Bourbonnais est précisément celle où, depuis 12 ans, les Réseaux d’aide, dans les écoles primaires, ont été malmenés ! Et aussi celle où la baisse régulière des moyens des collèges met en cause toutes les matières telles que secondes langues, langues anciennes, arts plastiques, musique …
L’avenir d’un territoire, c’est que les jeunes qui veulent faire des études puissent les faire et c’est la lutte collective pour le service public. Le rôle de ses responsables est-il bien de fermer des classes et de détruire les CIO tout en invitant de sympathiques adolescents à se faire parrainer par de sympathiques avocats et autres ostéopathes ?
Au fait, Pouzy-Mézangy est en plein dans le territoire de ce film et en ce moment même, des petits aux vieux, la population locale est mobilisée contre une fermeture de classe, pour assurer le chemin collectif vers l’avenir de ses enfants.
Pour la FSU Allier, V. Présumey.