Le 9° rassemblement de Rocles a eu lieu ce matin. Belle assemblée d’une centaine de personnes, dans la salle des fêtes en raison de la météo, avec les interventions du maire de Rocles, de M.F. Lacarin au nom des conseillers généraux s’étant prononcés pour la réhabilitation de tous les fusillés pour l’exemple, de l’Association laïque des amis de Pierre Brizon, de la FSU, de la Libre Pensée et du député J.P. Dufrègne, le tout terminé par la chanson de Craonne dans sa version intégrale.

Voici l’intervention faite par Vincent Présumey pour la FSU. Elle parle d’histoire, et de son enseignement :

Chers camarades, collègues, amis, compagnons,

nous en sommes donc déjà au 9° rassemblement de Rocles pour la réhabilitation républicaine de tous les fusillés pour l’exemple de 14-18. Ce mouvement et cette lutte continueront tant que justice n’aura pas été rendue.

Quand ont commencé les années de centenaire de 1914-1918, avec leurs petites fièvres commémoratives, « mémorielles » et « historiales », nous étions en droit d’espèrer, de revendiquer, que cette question démocratique et humaine élémentaire soit réglée avant la fin de ces quatre longues années.

Nous voici aujourd’hui au centenaire de 1917 et rien n’est moins sûr. Cette guerre n’avait que trop durée en 1917. En 2017 ce centenaire n’a-t-il pas que trop duré ?

Mais 1917 est aussi, est d’abord, le centenaire du soulèvement des peuples contre la guerre. Amorcé à Pâques de l’année précédente, à Dublin, quand le peuple irlandais entre en insurrection et que James Connoly proclame la République peut avant d’être assassiné par l’armée britannique, le soulèvement des peuples, les femmes en avant, explose à Petrograd au moins de février-mars, chasse le tsar et pose la question de la paix au monde entier. A Berlin les grèves éclatent dans la métallurgie, et pendant l’été les mutineries gagnent la flotte allemande, conduisant à l’exécution du marin social-démocrate révolutionnaire Max Reichspietsch. Auparavant ont éclaté les grèves des tranchées – car les mutineries étaient des grèdes des tranchées, au chant de l’Internationale et de la chanson de Craonne. En Italie l’armée déserte en masse à Caporetto. En Allemagne et en France ces mouvements furent réprimés. Ils le furent, avec l’aide coupable des socialistes d’union sacrée, excluant du parti social-démocrate allemand tous leurs opposants, qui forment alors l’USPD, le Parti social-démocrate indépendant, dont le noyau dur est fourni par les Délégués révolutionnaires, responsables syndicaux clandestins de la métallurgie et de l’armement berlinois. En France la répression va permettre la poursuite de la grande boucherie sans offensives supplémentaires. Elles s’est faite en attendant l’arrivée des troupes nord-américaines, le temps que celui qu’on nous présente comme le grande humaniste du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le président Woodrow Wilson, en finisse avec les socialistes anti-guerre et les syndicalistes, que Frank Little soit lynché et que la loi du Ku Klux Klan règne sur le Sud. Elle a eté conduite par deux hommes qui doivent rester indissolublement liés dans l’infamie, le militaire et le politique, Philippe Pétain et George Clemenceau.

Ces quelques rappels historiques doivent faire mesurer l’hypocrisie de l’histoire et du discours officiels qui, par décision de l’actuel président de la V° République, reprenant d’ailleurs une marotte du premier ministre dans le gouvernement duquel il a siégé, font de M. Clemenceau le nouvel héros national, parangon de vertu républicaine présenté à la jeunesse comme l’incarnation de la fidélité et de l’énergie. Incarnation de la fidélité, Clemenceau ? Il fut dans sa jeunesse un républicain laïque, partisan d’une république sans Sénat ni président, une république démocratique. Depuis 1906 il est celui qui envoie la troupe contre les grévistes, et en 14-18 il est l’homme de la dérive autoritaire du parlementarisme, et l’on commence à murmurer qu’il se verrait bien dans un costume à la Bonaparte. Voila pour la fidélité.

Incarnation de l’énergie, Clemenceau ? Il faudrait pour cela qu’il suffise de dire « Je fais la guerre » et de la faire faire par les poilus !

Pour quelles raisons profondes l’ancien premier ministre M. Valls et l’actuel président M. Macron font-ils de Clemenceau, l’homme qui riait dans les cimetières ainsi que l’avaient surnommé les syndicalistes, le parangon de ce qu’ils veulent incarner, eux ?

N’en déplaise aux journalistes, qui, ces jours ci, nous expliquent qu’il faut faire abstraction de Clemenceau le briseur de grèves et ne penser qu’au grand patriote, nul doute que l’énergie à envoyer police et armée, à appliquer l’état d’urgence contre l’ennemi intérieur, sont ici un modèle et font référence à nos hommes d’Etat d’aujourd’hui volontaires pour briser les conquêtes sociales qui, contre les guerres et pour toute l’humanité, fondèrent la civilisation du droit du travail, des services publics et de la sécurité sociale !

Mais il y a plus. Dans la mythologie officielle appelée « mémoire », le 11 novembre constitue la dernière victoire de la France, non pas de la France du peuple, des ouvriers, paysans et étudiants, mais de l’impérialisme français. Le 11 novembre nous dit-on, la France aurait gagné. Et les commémorations de M. Macron entendent donc célébrer à la fois la victoire de la France et l’Union européenne, dans l’espoir que la crise de celle-ci lui permette de s’en présenter comme le dernier sauveur.

Mais c’est là un double mensonge.

La France, victorieuse le 11 novembre ? Elle est alors saignée, comme tous les belligérants elle a perdu.

D’ailleurs qui a gagné réellement, qui a mis fin à la guerre ? Les marins allemands, organisant leurs conseils de soldats à Kiel et partout en Allemagne depuis le 4 novembre, les manifestants de Berlin qui ont renversé le Kaiser le 9 novembre. La guerre a pris fin là : l’armée allemande, qui n’était pas véritablement battue par les troupes françaises, anglaises, belges et américaine, a alors dû signer un armistice, car ses soldats élisaient des conseils qui menaçaient de liquider la caste des officiers. Et comme, de plus, les poilus ont été maintenus sous les drapeaux pendant de longs mois encore, il est, en toute objectivité, pour le moins très discutable de persister à dire que le 11 novembre a mis fin à la guerre !

Second mensonge, celui qui, à côté de la prétendue victoire, veut célébrer l’union européenne et la paix. Car à quoi a conduit la politique de Clemenceau, qui, en 1919, mène l’agression armée contre la Russie et la Hongrie rouges ? Au traité de Versailles, porteur du nazisme et de la seconde guerre mondiale.

Chers collègues, amis et camarades, je voudrais terminer cette intervention en reliant ces questions à celle qui sont posées par les réformes, ou plutôt les contre-réformes, et les sollicitations faites aux professeurs concernant l’enseignement de cette période.

Certes, on ne raconte plus aux élèves que Verdun a été une grande victoire française et qu’on a mis la pattée aux boches. Il est de bon ton d’insister sur l’inhumanité de la guerre et sur la condition des poilus dans les tranchées. Mais ceci, exactement comme dans les discours officiels de M. Macron à la gloire de M. Clemenceau, d’une manière décontextualisée qui ne permet pas de comprendre, car la compréhension n’est possible que par le savoir concernant les faits, qui à son tour permet seul, de manière laïque, d’exercer son esprit critique.

De ce point de vue, est-il bien laïque de demander aux élèves passant le brevet des collèges de « montrer en quelques lignes que l’armée française est au service des valeurs de la République et de l’Union Européenne » ? Il s’agit du brevet 2017, c’était en juin dernier. L’élève est sommé d’argumenter sur une affirmation, et donc de dire que l’armée française, en Lybie ou en Centrafrique, défend les dites valeurs, ce qui demanderait pour le moins à être démontré.

De ce point de vue encore, est-il bien laïque d’organiser dans un collège, ainsi qu’on a pu le voir sur FR3 Auvergne avant-hier, dans le cadre d’enseignements interdisplinaires prescrits à la place des cours par la dernière réforme des collèges, le creusement d’une tranchée, à laquelle sont dévolus en premier lieu les élèves de Segpa, section dite « technique » ?

Que l’on se comprenne bien : pas question pour moi ici, en tant que représentant de la principale fédération syndicale de l’enseignement public, de demander un enseignement antimilitariste. Non, nous voulons, en 2017 comme en 1905, un enseignement laïque, qui n’endoctrine pas, ni dans un sens ni dans l’autre, mais qui forme l’esprit en lui donnant les moyens, de penser, d’apprendre, et de combattre.

Et c’est ainsi que nous sommes du coté de la vérité historique, et non pas du « devoir de mémoire » officiel. Le mur du ridicule n’est-il pas franchi en effet, quand, répondant à une question écrite de notre député à propos de la réhabilitation de tous les fusillés pour l’exemple de 14-18, le gouvernement répond que ce n’est pas nécessaire, puisque, tenez-vous bien, il y a au Musée des Invalides une « borne interractive » qui mentionne leur existence !

Nous ne voulons pas de borne interractive, nous ne voulons pas de niaiseries, nous voulons, non pas pour les fusillés dont la dignité et l’honneur sont intégralement saufs devant l’histoire, mais pour l’honneur de la République, contre l’Etat qui les a fusillés, la reconnaissance intégrale du crime et la réhabilitation collective et totale de tous !